Dessins de photographes

27 mars 2015 - 30 avril 2015

Charles Nègre et le dessin contemporain

L’exposition propose de montrer des artistes connus pour leur photographie mais qui s’expriment ou se sont exprimés également à travers le dessin. Pour certains la photographie est devenue leur pratique privilégiée, pour d’autres, dessin et photographie s’associent dans une démarche où geste et concept s’affirment à travers le trait ou bien l’empreinte. Chacun des dessins contemporains sera mis en confrontation avec un dessin de Charles Nègre (1820-1880) qui, après des études dans l’atelier de Paul Delaroche et une carrière de peintre et de dessinateur, s’est tourné dans les années 1850 vers la photographie. Avec des oeuvres de Aki Lumi, Jocelyne Alloucherie, Dieter Appelt, Anna et Bernhard Blume, Blanca Casas Brullet, Alain Fleischer, Gilles Gerbaud et Raphaël Chipault, Diana Thorneycroft.

Un dessin, première photographie au monde !

Dans la vente Sotheby’s du 21 mars 2002, une reproduction photographique réalisée par Niépce en 1825 d’un dessin gravé fut présenté comme « la première photographie au monde ». S’il est d’usage d’explorer les liens entre la peinture et la photographie, il est plus rare de réfléchir sur ceux du dessin et de la photographie. Et pourtant, par un curieux paradoxe, dessins et photographies se trouvés associés très tôt et à des titres divers. Au début des années 1820, Nicéphore Niépce déclare avoir deux préoccupations : « la copie des gravures » et « la copie des points de vue ». On parle alors, pour définir la photographie, de dessins photogénés ou de photographie drawings. Henri Cartier-Bresson, un bon siècle plus tard, parlera de « dessins instantanés ». La mise sur le marché d’ « appareils photographiques à reproduire les dessins » va provoquer des vindictes, celle de Ingres par exemple qui signera une pétition visant à interdire toute assimilation des photographies « aux oeuvres fruits de l’intelligence et de l’étude de l’art ». Eugène Delacroix quant à lui, a décelé très vite ce que pouvait apporter au dessinateur le regard du photographe. Dans A propos d’une méthode de dessin, il écrit « le daguerréotype est plus que le calque, il est le miroir de l’objet ; certains détails, presque toujours négligés dans les dessins d’après nature, y prennent une grande importance caractéristique, et introduisent ainsi l’artiste dans la connaissance complète de la construction… »
Françoise Paviot

Dessins de photographes

Le désir de sein cacherait-il une mélancolie spécifique des photographes ? Nombreux sont ceux qui dessinèrent secrètement comme une activité refoulée et minorée par les connaisseurs de photographie, une discipline « antique » au regard, si j’ose dire, de la « modernité » photographique. Pourtant, le dessin serait-il la référence fondatrice et anoblissante de leur activité figurative machinique ? Beaucoup de photographes dessinèrent ainsi pour le nécessaire apprentissage de la construction et du cadrage, et comme chacun sait, il s’agit là d’une chose mentale – le dessin est chose mentale – et pas seulement d’un tourment visuel. On pourrait partir de l’hypothèse extravagante suivante : le dessin et la photographie auraient une origine mythologique commune. Selon le récit canonique, c’est en utilisant le profil de son amant, dont l’ombre est projetée sur un mur, que la jeune fille de Corinthe, Dibutade, dessine son portrait. Quant à la photographie, hormis toute mythologie, elle est une technique au sein de laquelle la projection de la lumière joue le rôle essentiel.
Jacques Derrida dit un jour que le dessin relevait d’une « mémoire d’aveugle ». Cette formule – sentant oxymoriquement bon, mais n’en étant pas ! – invitait à réfléchir sur l’expérience manuelle et la culture graphique acquises par un artiste, affrontées à la page immaculée et vide, sans repère, aveuglante en effet. Pour l’occasion du présent accrochage de la galerie, faut-il suggérer qu’il en irait de même, bien que tout autrement, avec la photographie ? L’aveuglement n’est-il pas aussi une des étapes irrémédiables de l’acte photographique et en particulier lors de cet instant que l’on qualifia souvent de décisif alors que la définitive saisie opérée par l’ouverture de l’objectif échappe en fait à toute véritable décision : la machine fait son oeuvre.
Alors, la durée au cours de laquelle s’accomplit le trait du dessin et l’instantanéité de l’éclair photographique relèveraient-elles d’une comparable cécité nécessaire à leur voyance ? C’est cette comparaison que l’exposition prétend montrer.
Dominique Païni

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    Charles Nègre, Sans titre (Etude dans le studio de Paul Delaroche), 1842-43

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    Diana Thorneycroft, Failed Relationships (Ernie and Bert are no longer qualified to marry), 2012

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    Aki Lumi, Trace 604, 2014