Intime, à bien regarder le fonctionnement de notre société, on est en droit de se demander si ce terme n’est pas destiné à rejoindre prochainement le Dictionnaire des mots rares et précieux. Que sont devenus en effet les amis intimes quand on cherche à en avoir par centaine sur Facebook, que sont devenus les journaux intimes quand on livre dans un blog les mille et un détails de sa vie quotidienne ? Violer l’intimité de quelqu’un a-t-il encore un sens quand on sème à tous vents ses propres images à travers des selfy provocants. Oubliées !… passées de mode ! les convictions, les relations, les réunions, les conversations les plus intimes ! Notre quotidien se veut aujourd’hui sans secrets et sans mystères, nous sommes prêts à tout exposer.
Bien sûr la photographie a été une des premières à participer de cette mise à mort. Son pouvoir dès sa naissance n’a-t-il pas été de révéler, de dévoiler, allant même, comme le remarquait judicieusement Alain Fleischer, jusqu’à inventer la pornographie. Comme il est difficile alors de faire cohabiter cette faiseuse d’images avec ce qui se cache et se protège pour exister. Et pourtant, dans la chambre noire, n’est-elle pas aussi l’espace de l’empreinte et du contact attendant avec patience qu’un oeil attentif vienne faire entrevoir ses secrets. Certains photographes savent l’art d’évoquer ce qui ne peut que se toucher du regard et c’est à ceux là que l’exposition s’adresse.
Un peu comme un défi, six Personnalités ont été sollicitées pour regarder les images de six Photographes dont le travail entretien un lien particulier avec l’intime. Guy Bourreau pour Benjamin Deroche, Michelle Debat pour Bogdan Konopka, Jacqueline Frydman pour Iris Sara Schiller, Nathalie Gallon pour Irem Sözen, Jean-Claude Lemagny pour Aubie Golombek et Anne Racine pour Ann Mandelbaum. Tous ont bien voulu se laisser prendre au jeu, qu’ils en soient sincèrement remerciés.
En acceptant de prélever chacun à leur façon cette chair de l’intime, ces six photographes et ces six regardeurs nous apprennent aussi comment la photographie dans sa matérialité profonde, seule, sans bruit et malgré le handicap de sa naissance, demeure cependant une des dernières gardiennes du temple.
Françoise Paviot