Née à Chicago en 1928.
“Barbara Crane étudie l’histoire de l’art au Mills College de 1945 à 1948 puis obtient un diplôme de Bachelor of art à l’Université de New York en 1950. Elle fait du portrait professionnel à la fin des années 1940 et repart à Chicago en 1952. En 1960, une fois ses enfants scolarisés, elle revient au portrait photographique, suit les cours de l’Institute of Design et commence en 1964 à enseigner et à travailler. Depuis 1965, son travail a fait l’objet de six grandes rétrospectives et a été présenté dans plus de 200 expositions collectives . Elle a été nommée Professeur émérite en photographie à l’Ecole de l’Art Institute de Chicago.
Barbara Crane est une photographe qui fait toujours preuve d’une activité
débordante, d’une curiosité exigeante et qui explique : « J’ai besoin de
travailler pour être heureuse et j’ai toujours passionnément aimé faire des
images ». C’est en effet depuis 1948, que Barbara Crane se consacre à la
photographie. Avec elle, elle exprime sa créativité, communique avec le
monde et ne cesse d’avancer dans ses réflexions personnelles. Espiègle,
mais rigoureuse, elle a toujours fait preuve d’engagement et surtout
cherche constamment à traiter simultanément les aspects formels et
émotionnels du medium. Le résultat est un ensemble important de tirages
aux approches et aux pratiques extrêmement diverses, révélateur des
liens qu’elle entretient avec celle qui est devenue en plus de soixante ans
de carrière sa compagne la plus fidèle. (…)
Si elle a été en contact très tôt avec la photographie, elle regardait
fascinée son père développer ses images d’amateur, très tôt aussi elle a
compris que vouloir s’assumer en tant que femme et photographe ne
serait pas chose facile. Comme elle le dit elle-même : « Je suis née à une
époque où l’art n’était pas fait pour les femmes et où il valait mieux ne
pas avoir un appareil photo pour trouver un mari. » Élevée dans un esprit
de discipline et d’efforts et ne voulant pas être taxée d’amateurisme ou de
dilettantisme, Barbara Crane s’est très rapidement donnée à elle-même
des défis qu’elle continue toujours à relever. La curiosité et le goût de
l’expérimentation ont constamment guidé sa très longue carrière. « Je
cherche toujours à renouveler ma façon de voir et de penser, à me débarrasser systématiquement des habitudes. J’essaye aussi de trouver
une nouveauté dans la vision »
En 1947 elle entre au Miles College à Oakland en Californie, pour étudier
l’histoire de l’art, un moment décisif dans son éducation et qui restera pour
elle « la meilleure chose qui pouvait lui arriver ». Elle y rencontre
Imogen Cunningham avec qui elle travaille et se lie d’une amitié qui
durera jusqu’à la disparition de cette dernière en 1976. C’est à cette
période aussi qu’elle fait l’acquisition d’un Kodak reflex à deux objectifs
qui sera suivie trois ans plus tard par celle d’un Rolleiflex. Elle rendra
visite régulièrement à Ansel Adams qui suivra avec une grande attention
son travail. Par un curieux paradoxe c’est sur la cote Ouest qu’elle
découvre à travers un ouvrage le travail de Moholy Nagy et également
celui de Georgy Kepes. (…)
Ses études à peine terminées, Barbara se marie et s’installe à New York,
où elle entame, avec la permission de son mari !… sa carrière
photographique en faisant des portraits d’enfants pour le grand magasin
Bloominghale. Puis, sans toutefois cesser de suivre avec attention
l’actualité artistique et suivre un enseignement artistique à l’université,
elle range son matériel et arrête totalement la pratique photographique
pour se consacrer à sa famille. Ce n’est que dans les années 1960, la
séparation avec son mari prononcée et ses trois enfants un peu plus âgés,
qu’elle peut avec une plus grande liberté renouer avec sa carrière de
photographe, tout en restant une mère attentive et responsable comme
elle tient à le souligner. Installée ensuite à Chicago, elle rencontre Aaron
Siskind qui n’habite pas très loin de chez elle et qui lui conseille de venir
suivre les cours de l’Institute of Design à Chicago. En 1966, elle est
diplômée de l’Institute pour sa thèse : « A Search for form in the Human
figure » composée de 90 photographies noir et blanc, réalisées avec
ses enfants comme modèles, payés 35 cents de l’heure précise-t-elle avec
malice. Avec ces photographies très graphiques, elle souhaitait montrer
qu’une simple ligne peut être facteur d’émotion et de vibration. Elle
entamera ensuite une carrière d’enseignante, au sein même de l’Institute
of Design puis de l’école de l’Art Institute de Chicago dont elle deviendra
professeur émérite de photographie.
En parallèle à cet enseignement, elle va mener de front son travail
personnel et va, pour gagner sa vie, répondre à de nombreuses
commandes. Elle réalisera, et continue à réaliser, (« Je ne suis pas
morte ! » lance t-elle à ceux qui lui parlent du passé), des séries
accomplies sur des sujets qu’elle renouvelle à chaque fois et dont la
perfection du traitement fait oublier le savoir-faire. Excellente
technicienne, elle expérimente tous les modes de prises de vue et de
tirage qui se présentent sans toutefois jamais tomber dans cet
amateurisme qu’elle redoute. Elle peut aussi bien partir travailler avec une
imposante chambre 20×25 traînée dans un chariot de golf qu’utiliser un
simple « jetable » ; réaliser des tirages argentiques, au platine comme
numériques ; exploiter les possibilités des photogrammes, des
surimpressions ou des photomontages. « La mécanisation totale des
techniques ne représente pas une menace pour la véritable puissance
créatrice » écrivait Moholy-Nagy, « Le seul problème est d’en avoir la
maîtrise ! ».
Son terrain de prédilection reste sa ville Chicago et plus particulièrement
le district du financier du Loop caractérisé par des rues à plusieurs niveaux
et un boulevard qui en fait le tour et qui lui donne son nom. Au fil des ans
elle a appris à en connaître, à chaque heure du jour, toutes les variations
de lumière et tous les effets d’ombre. Elle réalise un mur d’images
monumental de plusieurs mètres de long, pour le siège de la Chicago
Bank, mais décide ensuite de revenir à la conception d’images uniques
dont le sujet sera les façades des immeubles de Chicago. Elle investit
alors dans ces photographies ses conceptions esthétiques et graphiques et
bâtit son propre design urbain cherchant à capter le moment décisif où les
structures, la lumière et les ombres créent un nouvel ordre visuel. Dans la
série des “Néons”, réalisée 1969, elle fait intervenir une double exposition.
Une première image de “Néon” est enregistrée sur laquelle vient, se
superposer ensuite un portrait. La différence d’échelle entre les deux
sujets donne une profondeur spatiale inattendue à l’image. Dans ces
photographies, pour lesquelles Barbara Crane a utilisé un agrandisseur
très particulier, les lampes des néons semblent créer des perforations à la
surface de l’image sans toutefois suggérer l’idée d’une mutilation. Car si
elle insiste sur sa recherche constante de la forme et de l’abstraction, elle
souligne aussi son intérêt pour l’humain et n’hésite pas à s’installer,
parfois avec un matériel encombrant, au milieu de la foule, à la sortie
d’un bâtiment très fréquenté pour capter les mouvements et les
déplacements de ceux qui l’entourent. Si elle joue et expérimente ses
recherches avec ses semblables, elle en reste très proche et n’en trahit
jamais l’humanité Et c’est peut-être là une des principales caractéristiques
de son travail : faire à la fois une photographie vivante et expressive,
mais avec une grande rigueur formelle.
Très tôt elle a découvre le travail de la chambre noire qui la passionne. Le
noir et blanc, c’est pour elle toute l’aventure de la photographie : « La
photographie noir et blanc a plus de mystère que la photographie couleur
parce qu’il y a une transformation totale de la scène ou de l’objet
photographié. En outre c’est la technique du noir et blanc que j’ai apprise
et partagée avec mon père, et cette expérience prend pour moi une
dimension différente. » Elle ressent le besoin de dialoguer avec la lumière
et les produits chimiques. « J’ai toute latitude pour intervenir, que ce soit
à la prise de vue, au développement ou au tirage. Tous ces moments
m’offrent la possibilité d’exprimer mes idées, mes sensations, mes
émotions que je veux transmettre à celui qui regardera mes images ».
Quand Barbara (…) nous a confié le plaisir intense qu’elle ressentait à être seule dans sa chambre noire, a évoqué le silence, cette solitude étrange mais aussi sa toute puissance devant ce possible si fragile de l’image à naître, beaucoup d’entre nous se sont sentis appartenir à la « grande famille » de ceux qui ressentent émotion et fascination pour le tirage. Paul Strand écrit en 1917 dans la revue Camera Work « Couleur et photographie n’ont rien à voir ensemble ». Barbara Crane ajoute quant à elle : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que la couleur est trop réelle et littérale et qu’il lui manque cette capacité de transformation propre au noir et blanc. » Cependant elle tient à ajouter que c’est le sujet ou son projet qui prime et qui la pousse à utiliser le noir et blanc ou la couleur. « Le noir et blanc permet plus pour moi d’atteindre l’abstraction mais cela dépend aussi de ce que je veux faire et de mes sujets. Dans les années 70, je vivais dans un environnement propice à la photographie couleur : le ciel était bleu, les gens portaient des vêtements chatoyants et tout l’environnement baignait dans une atmosphère chaude et ensoleillée parfaitement idéale. C’est au cours de cette période, dans le Park national de Yellowstone que j’ai commencé à photographier en couleur. Mon utilisation de la couleur était une réponse à mon expérience du lieu, à la fois le paysage et les personnages. Mais peut-être que ma véritable approche de la photographie en couleur a été avec le Polaroïd qui avait une qualité de couleur complètement différente des autres pellicules. Le Polaroïd correspondait aussi à ce besoin de voir très vite ce que j’avais fait afin d’avancer et de chercher autre chose ». C’est ainsi que nécessité faisant loi, s’étant retrouvée sans chambre noire pour un séjour prolongé dans la ville de Tucson, elle a réalisé pendant toute une année, une série de Polacolor grand format qui figurent maintenant dans les plus grandes collections. Entre 1980 et 1984 à l’occasion de différents festivals qui ont lieu à Chicago, elle réalise des polaroïds et des photographies noir et
blanc. Ces images sont la description d’une expérience qui, dans sa
singularité atteint une forme d’universalité. Prises aux heures les plus
chaudes de l’été, très près des sujets, avec un matériel lourd et
encombrant dont un appareil 4 x 5 super graphic 45 « elles sont vraiment
le résultat d’un travail amoureux » dit-elle.
Pragmatique comme toujours, elle ajoute : « Une raison pratique, m’a fait
choisir le noir et blanc, c’est que la chimie était moins nocive et moins
chère. Et puis, jusqu’à l’arrivée des imprimantes jet d’encre, faire soi-
même ses tirages couleur était difficile et cher. » Elle constate et regrette
comme tout un chacun qu’une grande partie de la « chimie » et des
papiers argentiques tende à disparaître, mais ajoute-t-elle très vite, « les
temps ont changé », car elle n’a surtout pas un tempérament à
s’encombrer de regrets. « J’ai toujours préféré être dans la chambre noire
plutôt que devant un ordinateur équipé de « Photoshop », mais
maintenant je ne peux plus comme autrefois rester des heures durant
debout dans mon laboratoire. »
Barbara Crane est maintenant de retour à Chicago et les beaux jours
venant, elle va bientôt regagner chaque week-end la petite cabane qu’elle
s’est achetée en plein bois à une heure de voiture de chez elle. Elle en a
fait l’acquisition pour une seule et unique raison : observer, comprendre,
saisir et traduire avec la photographie cette matière irréelle qu’est la
lumière.”
Françoise Paviot, Réponses photo, Hors Série n°10, “Pourquoi le noir et blanc?”, 2010
2017
“Barbara Crane. Photographies et Polacolor”
2011
“Un bon mouvement… vite !”
2010
“Barbara Crane”
2009
“Barbara Crane : Challenging vision”, Amon Carter Musuem of American Art, Texas, Etats-Unis
Barbara Crane: Challenging vision, édition The University of
Chicago Press, 2009
Barbara Crane : « Private Views », édition Aperture Foundation et
Galerie Stephen Daiter, 2009