Christian Milovanoff

Attraction II

15 février 2013 - 06 avril 2013

Attraction II

C’est au mois de juillet dernier que Michèle Moutashar, conservateur en chef du Musée Réattu à Arles, a présenté le dernier travail de Christian Milovanoff au cours d’une exposition intitulée Attraction. Attraction : « force qui rapproche » dit le petit Robert, un titre judicieux à bien des points de vue puisque nous avons immédiatement eu envie de montrer cette exposition à Paris. Trois points ont motivé cette décision. Tout d’abord, Christian Milovanoff, en toute cohérence avec ses oeuvres précédentes, nous montre que nous sommes consciemment ou inconsciemment habités par des images, anciennes ou contemporaines, graphiques ou photographiques. Ensuite, comme Walker Evans hybridait pour son père des bulbes de glaïeuls, Christian Milovanoff superpose ses images à la façon d’un feuilletage, d’une série de couches dont la transparence occulte le temps parcouru. « La solitude amère de l’eau souple et toujours close » écrivait Paul Eluard (Les Hommes et les animaux, 1920), ici c’est la planéité du papier qui se donne dans la présence muette d’un oracle. Enfin cette démarche créative, qui par ailleurs se nourrit de techniques contemporaines, pose le problème de l’auteur, comme auparavant se posait celui de l’atelier. Mais surtout, indépendamment de tout le matériel d’idées qu’elles génèrent, ces images restent belles car elles nous offrent une part de cette aura qui parfois finit par manquer.
Françoise Paviot

Le marieur d’images

A regarder les oeuvres de Christian Milovanoff il faut remonter le cours de nos souvenirs. Quand nous étions petits et que nous ne savions rien… Je me rappelle combien je fus déçu lorsque je sus lire. Devant les bandes dessinées j’avais imaginées tant de choses, rêvé à tant de mondes ! Et ce n’était que ça, tout plat !
Tout juste bon à faire rigoler les grandes personnes. Mais, Dieu merci, lorsque André Malraux a interrogé un vieux curé sur ce que cela lui avait appris de confesser les gens durant quarante ans, le vieux curé répondit : « qu’il n’y a pas de grandes personnes ».
Retournons au giron de ce monde enchanté où nous étions jadis. Ce monde immense, inexploré.

Pour l’enfant, amoureux de cartes
et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! Que le monde est grand à la clarté
des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Charles Baudelaire

Nos connaissances acquises ont rongé ce monde par tous les bouts. Et devant les images de Milovanoff il est temps de penser, avec Charles Péguyn que « tout est immense, sauf le savoir ».
« Images », ai-je écrit. Et j’hésite devant ce mot. Si beau, si dangereux. L’oeuvre de Milovanoff est là où l’image se détache de l’imagerie. L’image garde la fraîcheur d’un mystère qui s’étend indéfiniment. Elle nous ouvre, si j’ose dire, un au-delà présent. Comme nous l’a montré Gaston Bachelard, sa naïve précision est le tremplin des rêves. Mais trop souvent, les images se coagulent en imagerie. L’imagerie est un système d’images qui se referme sur lui-même, ne renvoie qu’à lui-même au lieu de s’ouvrir sur les verts paradis enchantés de l’enfance. La Bible nous parle d’antiques fléaux qui venaient châtier les hommes de leur impiété ; notre temps connait ses fléaux mécaniques dont est l’imagerie publicitaire qui n’est que pour vendre, pour tout rabattre sur des utilités. Milovanoff, lui, se meut tout librement dans l’imaginaire.
Certes ces images de Milovanoff m’intriguent. Je ne vois pas comment c’est fait. Mais ça ne me regarde pas. Un très respectable, nécessaire et savant savoir-faire n’est là que pour être oublié. Où va ce haut navire, lentement, dans le brouillard d’une littérature devenue dérisoire ? Est-il fantôme de notre vie ? Où s’en va-t-il ainsi ?Il va où vous voulez quelque part dans les pays intérieures de chacun.
Milovanoff s’est promené parmi d’innombrables imageries. Il a feuilleté et a laissé dériver certaines images qui sont venues, comme d’elles-mêmes, se joindre à d’autres. Décollées de leur banquise initiale, si utilitaire, si illustration, ces formes errantes sont devenues des cathédrales et leurs rencontres ne furent plus que rencontres entre des architectures de formes. Il est bien vain de s’intéresser à quoi ça sert. Ne reste qu’une obsédante présence. Si Milovanoff découvre des amours entre les formes, c’est comme l’enfant Mozart disant : « Il y a des notes qui s’aiment ».
Comme l’iceberg transporte avec lui sa froidure, la belle image s’avance enrobée d’un espace poétique. Et c’est tout autant que des formes, ce sont deux espaces qui viennent alors se mêler et n’en faire qu’un. La juste forme rayonne d’un espace justement rêvé.
Ainsi Milovanoff est-il le découvreur des formes errantes mais qui se rencontrent et qui s’aiment. Heureuses d’oublier l’occasion qui les fît naître, elles sont nées à nouveau dans le monde enchanté des formes pures.
Jean-Claude Lemagny

 

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    Christian Milovanoff, Espaces, 2011-2012

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    Christian Milovanoff, Bateau, 2011-2012

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    Christian Milovanoff, Mésopotamie, 2011-2012