Jusqu’à la fin d’année, découvrez au CRI des Lumières de Lunéville l’exposition de Jürgen Nefzger présentant ses travaux “Fluffy Clouds” et “Bure ou la Vie dans les bois”.
Dans le cadre de l’Engagement, une manifestation nationale organisée par le Réseau Diagonal, en partenariat avec le Cnap et le soutien du ministère de la culture-DGCA, l’ADAGP – Copie privée, La Chambre et la galerie Françoise Paviot.
Avec un parc de 58 réacteurs répartis sur 19 sites, la France dispose aujourd’hui du parc nucléaire le plus important du monde en proportion de sa population. Mise en place dans les années 1950-60, suite au déploiement du programme militaire d’armement atomique, l’industrie nucléaire est progressivement devenue la principale source d’électricité en France. Après le premier choc pétrolier de 1973, et malgré d’importantes contestations, la production électronucléaire est présentée comme garant de l’indépendance énergétique du pays et imposée de force par le gouvernement, sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing. La politique du tout nucléaire est devenue un des pivots d’une société de consommation aujourd’hui en crise. Dans le mix de production électrique, l’atome a fourni en 2017 autour de 72 % de la production de courant contre 10 % provenant des énergies renouvelables. L’objectif initial de réduire cette dépendance à 50% en 2025 a été repoussée de dix ans par le gouvernement.
Chaque année EDF décharge de ses réacteurs environ 1200 tonnes de combustibles usés issus de la fission des noyaux d’uranium. Avec le vieillissement du parc nucléaire actuel, entraînant l’arrêt et le démantèlement des réacteurs, la masse de déchets radioactifs augmentera encore considérablement dans les années à venir. La gestion des déchets, qui s’accumulent chaque année un peu plus, est le véritable talon d’Achille de la filière nucléaire. Le volume total atteint au – jourd’hui 1,54 millions de m3 et devrait doubler dans les 10 années à venir. La loi dite «Bataille» de 1991 propose l’étude de différentes possibilités comme l’enfouissement en profondeur, le stockage en surface ou bien la séparation et la transmutation des déchets. Alors que toutes les options devaient être examinées, l’enfouissement a été privilégié dès le début, et ceci malgré les inquiétudes exprimées par les citoyens lors du grand débat public de 2005.
Le choix d’un lieu pour le stockage de déchets aussi dangereux sur des centaines de milliers d’années est une question particulièrement sensible. L’État a d’abord lancé des études sur plusieurs endroits, qui ont toutes été abandonnées suite aux oppositions locales (la protestation étant partout considérable), sauf une, à Bure, dans la Meuse, un territoire pauvre, sinistré et moins peuplé que les autres sites. La région a été jugée propice du fait de sa couche argileuse de 130 mètres d’épaisseur destinée à assurer une certaine imperméabilité contre la radioactivité des déchets présents sur plusieurs centaines de milliers d’années. Mais le sud de la Meuse a été surtout choisi pour son hyper-ruralité car il est le département agricole le moins peuplé de France. La tendance démographique est à la baisse depuis les années 1970 avec seulement 30 habitants par km2, contre une moyenne nationale de 117. Afin de rendre le projet socialement plus acceptable, un groupement d’intérêt public (GIP) à été créé au même moment. La Meuse et la Haute-Marne, les deux départements concernés par le projet, reçoivent des aides financières au développement d’une hauteur d’environ soixante millions d’euros par an, financées par l’industrie du nucléaire.
Le futur centre d’enfouissement Cigéo (Centre industriel de stockage géologique) est préfiguré par un prototype d’installation dirigé par l’Andra, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. Depuis l’an 2000 Bure accueille le laboratoire chargé d’expérimenter et de produire les technologies nécessaires à l’enfouissement et au confinement du futur site industriel avec un début d’activité prévu vers 2030. Le projet titanesque consiste à enfouir à 500 mètres de profondeur environ 70 000 mètres cubes des déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) et 10 000 mètres cubes des déchets de haute activité à vie longue (HAVL), soit 3 % du volume de déchets actuellement accumulés dans le pays mais condensant 99% de la radioactivité.
Le centre de stockage consistera en 320 km de galeries et en des milliers d’alvéoles souterraines à 500 m de profondeur sur une emprise au sol de 15 km2. Après une période d’exploitation de 100 à 120 ans le site sera définitivement scellé. L’impact temporel du projet Cigéo sur la biosphère se mesure en centaines de milliers d’années, en fonction de la demi-vie des radionucléides. La question se pose donc de savoir comment sera transmise la mémoire du site. Ou bien faut-il s’attendre à une gestion par l’oubli ?
On sait également que la zone d’enfouissement se situe en dessous d’une nappe phréatique et au-dessus d’une couche de grès du Trias Inférieur constituant une ressource géothermique reconnue. On court donc un risque de perforation du site dans l’hypothèse d’un projet d’exploration par forage dans un futur qui aurait oublié l’existence même du site d’enfouissement.
Les déchets radioactifs arrivent à Bure conditionnés sous forme de colis. Une prévision fait état d’un taux de remplissage à hauteur de 180 000 colis. Les déchets radioactifs ne sont pas des matières inertes et produisent de très importantes quantités d’hydrogène et d’autres gaz chimiques nécessitant une ventilation des cavités souterraines. Il y a donc des risques d’explosion liés à la génération continue d’hydrogène ainsi que des risques d’incendie, sans doute les plus graves et les plus difficiles à gérer par la présence de colis d’enrobés de bitumineux inflammables. Le fonctionnement sans faille du système d’aération est primordial. Il doit être assuré pendant toute la période d’exploitation afin d’éviter incendies et explosions dans ces cavités irradiées, sachant qu’elles seront inaccessibles à toute intervention humaine. Dans son rapport sur le projet Cigéo de juin 2017 l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) constate que «la possibilité de retrait de colis accidentés avec des moyens définis dès la conception n’a pas été étudiée»*Le rapport de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires présenté à l’Assemblée nationale le 28 juin 2018 a très clairement mis en cause cette solution de l’enfouissement à long terme en pointant les dangers certains et les risques imprévisibles encourus pour l’humanité. Il revient également sur des expériences malheureuses à l’étranger, à Asse en Allemagne et au Waste Isolation Pilot Plant (WIPP) aux Etats-Unis, où des infiltrations d’eau et un incendie ont eu lieu dans ces sites de stockage de déchets radioactifs. Il met aussi en garde contre son coût imprévisible, estimé en 2011 à 25 milliards d’euros, mais qui est en réalité immaîtrisable. Il préconise ainsi la poursuite des études sur des solutions alternatives et réversibles comme l’entreposage en surface de longue durée. On peut lire dans ce rapport:
«La commission d’enquête est revenue dubitative de sa visite du site de l’Andra quant à la ré – versibilité du processus. (…) L’association France Nature Environnement (FNE) est encore plus affirmative: cela fait des années que nous suivons Cigéo et nous pouvons affirmer que jamais nous ne pourrons récupérer les colis, c’est impensable techniquement . Plus loin le journaliste Eric Guéret est cité : Deux cent mille ans, ce sont dix mille générations. Aujourd’hui, l’électricité que nous consommons engage dix mille générations pour gérer nos déchets. »**
Des associations de militants nationaux et internationaux et des habitants mènent des actions en justice, des manifestations, des campagnes d’informations et des actes de désobéissance civile sur le site de Bure. De nombreux acteurs politiques, scientifiques et chercheurs se sont également opposés à ce projet. En l’absence d’une véritable solution face aux déchets radioactifs, beaucoup demandent l’arrêt de la filière nucléaire et l’ouverture d’un débat inclusif.
Pour faire entendre leur voix et empêcher des travaux de défrichement, de nombreux opposants ont occupé le bois Lejuc entre l’été 2016 et la fin de l’hiver 2018. Il s’agit d’une parcelle forestière de 220 hectares située à proximité du village de Bure et à l’aplomb des futures galeries souterraines : elle doit accueillir les puits d’accès aux galeries et les puits d’aération pour l’évacuation des gaz. Pendant cette période d’occupation, des militants venus de toute la France et d’autres pays européens ont construit des centres de vie à l’intérieur de la forêt sous forme de cabanes et d’abris à l’instar d’autres zones à défendre comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes à Nantes ou Hambacher Forst en Allemagne.
Les occupants du bois Lejuc ont été expulsés le 22 février 2018 lors d’une opération mobilisant environ 500 gendarmes mobiles pour seulement une quinzaine de militants présents dans la forêt en plein hiver. Les campements et les installations ont été immédiatement détruits et déblayés. La forêt est depuis interdite d’accès et hautement surveillée, mais le combat des opposants continue sous d’autres formes. La lutte contre le projet Cigéo s’incarne aujourd’hui dans la maison de la résistance à Bure animée par l’association BZL (Bure Zone Libre). Elle est soutenue par de nombreuses associations, collectifs et individus fédérés par Stop-Cigéo. D’autres actions sont en cours, sur le territoire et ailleurs.
Jürgen Nefzger, juin 2019
Plus d’informations sur le site du CRI des Lumières.